Sécheresse, incendies… : être au chevet des forêts sans se précipiter

Incendie en forêt

Entre la sécheresse et les incendies, les forêts sont mises à rude épreuve. Face aux nombreuses questions voire craintes, qui nous sont exprimées, nous souhaitions apporter les éléments de réponses suivants.

Peut-on déjà mesurer les effets de la sécheresse sur la forêt ?

Loïc Casset, coordinateur de l’Association Sylv’ACCTES : En forêt, la mortalité des arbres due à la sécheresse, s’observe généralement l’année suivante. Cependant, des défoliations précoces sont déjà remarquées dans de nombreux massifs. Beaucoup de plantations sont par ailleurs en situation d’échec. Les jeunes plants ont séché faute d’eau. Enfin, hormis l’année 2021 particulièrement pluvieuse, les étés 2018, 2019 et 2020 ont déjà présenté des sécheresses marquées. On a donc un phénomène d’accumulation de stress qui débouche sur une sensibilité accrue notamment aux attaques de parasites. A ce titre, on peut d’ores et déjà anticiper que les résineux (notamment épicéas, sapins et douglas) seront malheureusement très impactés.

En outre, cette année, compte tenu des températures extrêmes enregistrées en juillet et août, un autre risque émerge : l’embolie gazeuse. Ce risque apparaît quand l’assèchement du sol se combine avec une forte demande évaporative. Cette tension peut aboutir à l’arrêt de la circulation de l’eau absorbée par les racines vers les parties aériennes où s’effectue l’évapotranspiration. Une poche gazeuse peut se former dans les vaisseaux assurant cette circulation ce qui bloque le flux d’eau : c’est l’embolie gazeuse. Les chênes et les hêtres seront particulièrement exposés à ce risque cette année.

Comment les forêts réagissent face à ces phénomènes climatiques extrêmes ?

Concernant la sécheresse, on note déjà un phénomène de ralentissement de la croissance sur de nombreux arbres feuillus et résineux. On observera également l’année prochaine, une réduction de la masse foliaire, des retards du cycle de développement, voire un dépérissement avec des branches mortes.

Il faut savoir que les arbres gardent en mémoire les dysfonctionnements (hydrique, carboné et minéral) causés par la sécheresse. Ceci, afin de disposer d’une capacité d’adaptation (un réflexe) si le phénomène se reproduisait. D’une essence à l’autre, les mécanismes biologiques qui régulent l’utilisation de l’eau, opèrent différemment face à un déficit hydrique.

 

Quid de la fonction d’atténuation du changement climatique par le puits de carbone forestier français ?

Le dernier rapport du CITEPA (mars 2022) dresse un constat clair : depuis 2008, et surtout depuis 2013, le puit de carbone forestier français a connu une stagnation puis une forte baisse. C’est surtout du fait d’une hausse de la mortalité des arbres par l’effet de sécheresses et d’épisodes sanitaires, d’un ralentissement de la croissance et d’une hausse des prélèvements. Cette mauvaise dynamique ne paraît malheureusement pas en passe de s’enrayer cette année encore.

La priorité n’est plus d’augmenter la capacité d’atténuation de notre puits de carbone forestier. Elle est de limiter ses pertes en accompagnant son adaptation progressive aux nouvelles conditions climatiques.

Concernant l’incendie ou le passage d’une tempête, la réponse sera toujours la même : la forêt va engager un cycle de renouvellement naturel avec une succession d’essences d’abord pionnières (bouleaux, frênes, pins sylvestres…) puis post-pionnières (chênes, hêtres, sapins…). Ces aléas sont, dans certains cas, une opportunité de renouvellement. Elle peut permettre l’accès à la lumière d’individus dominés, la germination de graines au sol, la fertilisation par les cendres. Ainsi, sauf disparition du sol par phénomène d’érosion, la capacité de résilience naturelle aura effacé les stigmates d’une catastrophe en quelques dizaines d’années.

Mais la fréquence et l’intensité des phénomènes climatiques extrêmes induits par le changement climatique global, tendent aujourd’hui à déstabiliser les processus d’adaptation de l’écosystème forestier. C’est là où le coup de pouce de l’Homme peut s’avérer déterminant.

Forêt brulée suite à un incendie

 

Après un été caniculaire et incendiaire, qu’allons nous pouvoir faire ?

En matière d’actions sylvicoles, « prévenir plutôt que guérir » est l’approche historique de Sylv’ACCTES. Cependant, il s’agit aujourd’hui d’être « au chevet » des forêts. Il ne faut pas céder à la panique car le temps forestier n’est pas celui de l’homme. Les facteurs de fragilité doivent être identifiés. Et il va s’agir d’observer les dynamiques de résilience naturelle pour orienter la structure et la forme de la forêt du futur.

La concertation et le dialogue sont essentiels avant le passage à l’action

Ces facteurs d’analyse préalable à l’action doivent inclure l’aspect multifonctionnel de la forêt sur un territoire et la réversibilité potentielle des choix de gestion qui seront posés. La concertation et le dialogue sont donc un aspect essentiel avant le passage à l’action. L’outil du Projet Sylvicole Territorial trouve ici tout son sens.

On adapte ensuite les différents axes de travail déployés de manière courante par Sylv’ACCTES et ses partenaires techniques, à savoir :

  • Privilégier des peuplements mélangés et étagés ;
  • S’appuyer au maximum sur la régénération naturelle ;
  • Réserver la plantation dans des cas de fortes probabilités de réussite ou pour des compléments de régénération ;
  • Prendre en compte l’évolution climatique dans le choix des essences d’avenir et leur densité ;
  • Préserver la qualité des sols en limitant le recours à des opérations mécaniques impactantes.
« La forêt assure un rôle primordial en captant les composés atmosphériques contenant du carbone ou en libérant du dioxyde de carbone par respiration, décomposition et par combustion. Cela fait d’elle le principal réservoir terrestre de carbone susceptible, selon le cas, de se comporter en puits ou en source »

Source : Inventaire forestier national

Comment alors adapter les forêts aux nouvelles conditions climatiques ?

Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) porte des préconisations générales sur l’adaptation des peuplements forestiers face aux aléas climatiques :

– […] la diversification et l’ajustement de la composition des espèces d’arbres pour renforcer la résilience, et la gestion des risques accrus liés aux parasites et aux maladies ainsi qu’aux incendies de forêt ;

– […] l’amélioration de la durabilité des forêts gérées, renforcent généralement la résilience des stocks et des puits de carbone ;

La commission européenne dans sa nouvelle stratégie pour les forêts à l’horizon 2030 reprend une position très proche de celle du GIEC et la précise. Elle met notamment en avant le fait que les pratiques de gestion forestière qui préservent et restaurent la biodiversité, conduisent à des forêts plus résilientes, capables de remplir leurs fonctions socio-économiques et environnementales. Pour la commission, ces pratiques constituent une « police d’assurance » et garantissent que les forêts peuvent continuer à fournir leur ensemble complet et multifonctionnel de biens et de services dans un avenir variable et incertain.

« Deux arbres voisins au sein d’une même forêt présentent en moyenne 10 fois plus de diversité que deux êtres humains séparés par des milliers de kilomètres depuis des millénaires »

Source : « Quelles gestions des forêts pour demain ? », INRAE, juin 2022

Des travaux de recherche ont établi que « génétiquement, deux arbres voisins au sein d’une même forêt présentent en moyenne 10 fois plus de diversité que deux êtres humains séparés par des milliers de kilomètres depuis des millénaires. Cette diversité génétique remarquable, présente chez la plupart des espèces d’arbres forestiers, fournit en quelque sorte le « carburant » de l’évolution dont la sélection naturelle est le « moteur ». Or, la rapidité du changement climatique en cours – à l’échelle d’une seule génération d’arbres – pose la question du maintien sur le long terme de cette véritable « assurance de survie » qu’est la diversité génétique. »*

Aussi, un peuplement forestier touché par un cumul de perturbations abiotique (essentiellement sécheresse) et biotique (ravageurs spécifiques profitant d’une fragilité de certains individus du peuplement) sera affecté essentiellement à l’étage dominant. La structuration verticale du peuplement (la présence d’arbres de différentes hauteurs) jusqu’à la régénération naturelle au sein d’une même parcelle, permet un retour à l’équilibre plus rapide de l’écosystème.

Les effets du mélange d’essences

La diversité des dimensions crée une meilleure stabilité face aux évènements climatiques (vent, neige…), notamment par la présence de gros arbres stabilisateurs.

La résilience de l’écosystème forestier se voit renforcée par le mélange d’essences visé également à tous les étages dans de nombreux itinéraires de gestion Sylv’ACCTES. Ce mélange permet en effet d’augmenter la productivité de l’écosystème (utilisation complémentaire des ressources). Il permet aussi de limiter les dégâts liés aux ravageurs ou pathogènes spécifiques (dilution de la ressource, accueil de prédateurs). Enfin, de stimuler la résilience face aux stress abiotiques et donc aux aléas climatiques (tempéraments et stratégie complémentaires des essences, brassage génétique).

C’est sous cette forme que la préservation des sols forestiers, de l’ambiance forestière et d’écosystèmes matures, écologiquement fonctionnels est mis en œuvre tout au long de l’année par Sylv’ACCTES et ses partenaires.

*Issue de l’excellent dossier publié par l’INRAE en juin 2022 « Quelles gestions des forêts pour demain ? »

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